Après notre séjour dans le Xinjiang, nous allons dans le Qinghai en auto-stop dans l’espoir de faire notre permis pour aller au Tibet. Nous voulons rejoindre le Népal puis l’Inde par voie terrestre avant les fortes chaleurs de l’été. Mais le gouvernement chinois ne semble pas du même avis. Faire de l’auto-stop en Chine est illégal et le Tibet est fermé aux occidentaux au mois de Mars.
Nous sommes le 25 février et il faut normalement 10 jours pour obtenir une autorisation pour rentrer au Tibet. Or, depuis le soulèvement tibétain du 10 mars 1959, le mois de mars est particulièrement instable dans cette région. Chaque année, de nombreuses manifestations sont organisées en mémoire des 87 000 tibétains massacrés par les Chinois. Du coup, aucun touriste occidental n’est autorisé à se rendre au Tibet durant cette période. Peur des journalistes infiltrés, peur de voir diffuser partout dans le monde des images de moines s’immolant par colère et désespoir…
Faire de l’auto-stop en Chine dans le Xinjiang pour rejoindre le Qinghai : objectif, obtenir le permis pour le Tibet à Xining !
L’union faisant la force, nous entamons notre voyage en Chine en compagnie de Syril, un Suisse rencontré à la frontière qui a le même objectif que nous : traverser le Tibet pour aller au Népal et en Inde. Dès notre arrivée sur le sol chinois, nous essayons d’avoir des informations sur les possibilités d’entrer ou non au Tibet sans agence.
À Kachgar, la gérante de l’auberge de jeunesse nous conseille d’aller à Xining, la capitale de la province voisine du Qinghai. Elle a entendu dire qu’ils pouvaient faire des exceptions concernant le permis. Nous décidons donc de quitter le Xinjiang pour aller dans le Qinghai.
Aucun train ne relie les deux villes. Nous essayons donc de prendre un bus.
Malheureusement, nous sommes en hiver et la région du Xinjiang n’est pas du tout touristique. Il n’y a qu’un bus par jour pour se rendre à notre prochaine étape. Il ne faut pas le rater.
Nous arrivons à la gare routière une heure à l’avance. Surprise, nous avons les places 1 et 2. À l’heure prévue du départ, notre bus n’est toujours pas là. On demande autour de nous. Le bus a du retard. Personne n’a l’air de s’en inquiéter. 45 minutes plus tard, on nous explique que le bus est en fait annulé. Nous étions les seuls passagers, le trajet n’était donc pas rentable pour la compagnie de bus. Nous essayons le lendemain et le jour suivant mais sans plus de succès.
Syril fait le tour du monde en auto-stop. Il nous propose de faire comme lui. Nous avons rarement voyagé comme ça mais l’idée de faire de l’auto-stop en Chine nous séduit.
Au programme : pas moins de 3 000 km pour traverser l’immense désert du Taklamakan.
Faire de l’auto-stop en Chine n’est pas vraiment illégal. C’est prendre quelqu’un en auto-stop qui l’est. Les autorités chinoises ne conçoivent pas que l’on puisse prendre quelqu’un en auto-stop sans le faire payer. Il s’agit donc pour eux d’un travail au noir qu’il faut tout simplement bannir.
Heureusement pour nous, les conducteurs chinois se moquent de cette interdiction. Il est interdit de prendre un inconnu en auto-stop, mais il n’est pas interdit de conduire un ami. La parade est donc simple : expliquer aux contrôles de police que nous avons rencontré notre chauffeur il y a quelques jours et que nous sommes devenus amis. Faire de l’auto-stop en Chine n’est donc pas impossible.
Nous avançons facilement d’une ville à l’autre en changeant régulièrement de voiture. Nous passons de la voiture d’un instituteur en route pour son travail, à celle de deux Ouïgours qui s’arrêtent au milieu du trajet pour pouvoir aller prier à la mosquée, puis dans la remorque d’un triporteur très lent.
Pour finir le trajet, nous montons dans une camionnette transportant des fruits et légumes. Serrés entre les bananes et les pommes, une sensation incroyable nous prend aux tripes : le sentiment d’être libre !
Quelques kilomètres plus loin, au milieu du désert, un énième contrôle de police nous rappelle que la liberté n’est pas un mot à la mode en terre ouïgour. Notre véhicule est arrêté sur le bord de la route en compagnie d’une dizaine d’autres voitures. Nos conducteurs perdent immédiatement le sourire. Personne ne parlant anglais, nous ne comprenons pas pourquoi toutes ces voitures sont arrêtées. Les policiers ne se soucient pas de notre présence. Ils ne nous demandent même pas ce que nous faisons dans cette camionnette. Après une dizaine de minutes d’attente, un policier se dirige vers nous, nous fait signe de prendre nos sacs et de continuer la route à pied.
Nous sommes au milieu du désert du Taklamakan, à des kilomètres de toute habitation et la nuit ne devrait pas tarder à tomber… Mais quand un policier chinois vous donne un ordre, vous obéissez.
Nous marchons doucement au bord de la route. Un vent chaud chargé de sable rend notre marche difficile. Dès qu’une voiture passe, nous essayons de l’arrêter. Mais, trop contents d’être passé entre les mailles du filet du contrôle de police, les conducteurs ne s’arrêtent plus. Faire de l’auto-stop en Chine n’était peut-être pas une si bonne idée…
Nous sommes sur une ligne droite de plusieurs dizaines de kilomètres. Nous avons beau essayer de nous éloigner le plus possible, nous sommes toujours visibles par les policiers. Aucune voiture ne voudra s’arrêter dans ces conditions…
Soudain, une voiture s’arrête ! Sur le siège passager, Syril, notre ami suisse !
Nous nous étions séparés en début de matinée pour augmenter les chances d’être pris en auto-stop (pas évident de caser trois routards et leurs sacs dans une petite voiture). Et nous voilà réunis pour finir le trajet. Par chance, son conducteur n’a pas été arrêté par le contrôle de police.
Quelques kilomètres plus loin, nous sommes arrêtés par un nouveau barrage. Devant nous, les passagers d’un bus sont fouillés de fond en comble. Au moment de passer le contrôle, nous retenons notre souffle. Notre chauffeur baisse sa vitre, serre la main du policier en rigolant puis redémarre aussitôt. Son frère travaille ici, quel soulagement !
En fin de journée, nous atteignons enfin la ville de Minfeng (ou Nouvelle Niya). Notre conducteur propose de nous héberger et nous acceptons avec joie. Il doit d’abord aller voir sa femme qui est à l’hôpital. Nous l’attendons donc sur le parking.
Les minutes défilent. Un policier s’avance vers notre voiture, tourne autour, puis repart sans rien dire. Il revient avec un collègue. Ils nous regardent longuement. Nous n’avons rien fait de mal, ils doivent juste être curieux. Puis quelques minutes plus tard, un homme en uniforme s’avance vers nous escorté par quatre autres policiers. Sans rien dire, il tend un téléphone à Clem. A l’autre bout du fil, une jeune femme s’exprime dans un anglais hésitant :
– Qui êtes-vous ? Que venez-vous faire ici ? Avez-vous des livres ? Des cartes ? Prenez-vous des vidéos ?
– Nous n’avons rien de tout ça, nous sommes juste des touristes !
Le chef écoute attentivement la traduction, puis raccroche et nous fait signe de sortir nos sacs de la voiture pour les fouiller. C’est à ce moment que notre conducteur revient. Il demande aux policiers ce qu’il se passe. Les hommes discutent, l’atmosphère se détend peu à peu, ils rigolent entre eux.
Nous remontons dans la voiture et notre conducteur nous explique enfin le problème. Dès qu’un touriste entre dans une ville, il est censé se rendre directement à l’hôtel. Les informations de son passeport sont alors enregistrés dans un fichier de la police par Internet. Quelqu’un a trouvé bizarre de nous voir attendre sur le parking de l’hôpital et nous a dénoncé au commissariat. N’ayant aucun étranger enregistré dans leurs données, les policiers nous ont pris pour des « clandestins ».
Nous voilà donc escortés par deux voitures de police en direction de l’hôtel le plus proche.
L’invitation de notre chauffeur à dormir chez lui tombe à l’eau, mais on s’en sort bien.
Le lendemain, fatigués par le stop de la veille, nous nous rabattons sur des taxis partagés pour arriver au plus vite à Golmud. Le train pour Lhassa passant par Golmud, nous décidons de tenter notre chance à la station de police principale. Peine perdue. Comme à Kachgar, on nous redirige vers Xining. Seule consolation, le responsable nous griffonne sur un bout de papier l’adresse en chinois du service en charge des permis pour le Tibet.
Le soir même, nous prenons un train pour Xining. Même si faire de l’auto-stop en Chine nous a permis de vivre une aventure pleine de rebondissements, nous sommes pressés par le temps. Le train est rapide et permet de voyager de nuit.
Il n’y a plus de place en couchettes. Il nous faut donc passer la nuit assis sur un banc inconfortable, serrés autour d’une dizaine d’inconnus. 14 heures de cauchemar et la pire nuit de toute notre vie. Affaiblis par la traversée du désert, Clo a attrapé la grippe.
A peine installée dans le wagon, sa fièvre augmente de façon inquiétante. Heureusement, la plupart de nos voisins sont compréhensifs. Ils libèrent une banquette pour que Clo puisse s’allonger. Un inconnu s’approche et tend une dizaine de petites gélules de couleurs en faisant signe de les avaler. Accepter les médicaments d’un étranger dans le train, c’est hors de question ! Clo refuse poliment et l’homme, pour montrer qu’il ne nous veut pas du mal, avale d’un coup l’ensemble des pilules. Plus le temps passe et plus la fièvre monte. Nous n’avons pas d’autre choix que d’accepter les médicaments de notre voisin. Une demie-heure plus tard, la fièvre est retombée et tout le monde peut reprendre sa place pour tenter de dormir quelques heures.
Au petit matin, nous arrivons enfin à Xining et c’est soulagé que nous nous écroulons dans le lit de notre auberge de jeunesse.
Lorsque nous nous rendons enfin au bureau de l’immigration, le mois de mars est bien entamé. Nous expliquons à l’agent que nous souhaitons atteindre l’Inde avant le 17 mars (pour la fête du Holi), et que pour cela nous devons traverser à toute vitesse le Tibet et le Népal.
On nous explique alors que seule l’administration de la Province tibétaine est habilitée à délivrer un permis Tibet. Malheureusement, il n’existe aucune représentation de cette administration hors de Lhassa et seules les agences de voyages assermentées peuvent faire une demande de permis.
On nous confirme par ailleurs que le Tibet est bien fermé aux étrangers pour tout le mois de mars. On a beau supplier, expliquer notre situation, proposer des alternatives (comme un permis de transit), nos interlocuteurs ne peuvent rien pour nous. Nous sommes face à un mur infranchissable.
Le Tibet est fermé aux touristes en mars : Est-ce une bonne idée d’entrer illégalement au Tibet ? Quel sont les risques ?
Malgré toutes nos tentatives pour obtenir un laisser-passer exceptionnel, il faut se rendre à l’évidence, la voie officielle pour se rendre au Tibet est totalement bloquée pendant 1 mois.
Notre dernière alternative : rentrer au Tibet clandestinement.
L’idée d’entrer au Tibet sans permis nous est venue en lisant des témoignages de voyageurs.
Pour nous donner du courage, nous faisons la liste de toutes les possibilités qui s’offrent à nous :
– se cacher dans un camion (en payant le chauffeur)
– prendre un taxi et contourner les check points à pieds en passant par le désert
– acheter des vélos (il existe apparemment une tolérance pour les cyclistes clandestins)
Nous nous renseignons sur les risques que nous encourons. Si nous feignons de ne pas être au courant de l’existence de permis et d’interdiction de circuler, nous ne craignons pas grand chose. Mais si nous sommes pris en train de nous cacher ou de contourner un check point, c’est une tout autre histoire : une grosse amende et potentiellement quelques jours de cachot…
Les témoignages encourageants de traversées illégales du Tibet nous donne tout de même envie de tenter le coup en entrant clandestinement au Tibet.
Puis soudain, nous nous rappelons d’un élément primordial. Nous sommes en mars. Le Tibet est vide de touristes occidentaux. Comment cacher notre présence ? Nous serions aussi facile à remarquer qu’un éléphant dans un troupeau de moutons. Et quand bien même nous réussirions à tromper la vigilance de la police, notre expérience au Xingiang nous a prouvé que nous ne sommes pas à l’abri d’être dénoncés par la population locale. Et nous ne pouvons pas vraiment les blâmer. Si la police nous surprend dans un village, les habitants seront considérés comme complices de notre délit.
Rentrer au Tibet en mars, c’est donc prendre des risques pour nous-mêmes et surtout pour les Tibétains qui souhaiteraient nous aider. Impossible. Nous devons abandonner cette idée.
Désespérés, nous étudions d’autres pistes pour contourner le Tibet, mais toutes les portes vers l’Inde sont fermées. Il n’y a pas de frontière ouverte entre l’Inde et la Chine (car les frontières sont contestées des deux côtés). Il y a normalement un passage par le Pakistan, mais trop dangereux et fermé à cause de la neige. La seule possibilité qui s’offre à nous est le passage par la Birmanie. Mais nous n’avons aucune certitude de pouvoir rejoindre l’Inde ensuite puisqu’il faut obtenir une autorisation spéciale pour franchir la frontière. Notre déconvenue tibétaine nous décourage d’engager un nouveau bras de fer avec l’administration indienne.
Bilan de ces quelques jours à jouer au chat et à la souris avec les autorités chinoises : faire de l’auto-stop en Chine et entrer illégalement au Tibet ?
Finalement, nous décidons de prolonger notre visa chinois et de contacter une agence de voyages pour réserver un tour organisé au Tibet début avril.
Notre ami voyageur Syril continue son voyage en auto-stop et décide de passer la frontière entre la Chine et le Vietnam.
Nous profiterons de ce mois d’attente pour visiter les provinces du Qinghai et du Sichuan.
Si comme nous l’aventure en auto-stop en Chine vous tente, prenez du temps pour le voyage ! Vous pourrez faire de très belles rencontres…
Merci administration chinoise pour cette incroyable aventure !
La suite au prochain épisode 🙂
Clo & Clem
7 commentaires
Sacré aventure en effet, et chapeau car vous avez vu plus loin que le bout de votre nez en vous souciant des problèmes que vous auriez pu poser à la population local et, du coup, en renonçant à passer au Tibet clandestinement.
“Notre dernière alternative : rentrer au Tibet illégalement.”. J’adore, vous êtes des fouuuus, rien que de l’avoir envisagé (lister les moyens, les conséquences pour vous et la population).
Et des doubles fous-fous avec votre traversé du désert.
Continuez de nous faire rêver!
vous êtes fouuuuuuus!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
J’espère que vous réussirez quand même à rentrer au Tibet…
Votre aventure ne laissa pas indifférent….
:))))))
Merci de nous faire voyager avec vous. En vous lisant nous arrivons presque a toucher du doigt votre rêve, vibrer et ressentir les moments de doutes mais surtout de plaisir.
Waow le Xinjiang est vraiment une province aux multiples facettes! Je l’ai traverse en stop quelques mois avant vous et j’ai eu une experience completement differentes! Aucun controle de police sur les routes, denonciations de la population oui mais la police etait toujours hyper sympathique me payand des hotels, des bus ou m’emmenant aux endroits ou j’essayais d’arriver en stop.
Je me demande ce qui a bien pu changer. Sinon je vous envoie toutes mes bonnes ondes pour le permis pour le tibet ou la chine en general, je crois que c’est un pays difficile pour tout le monde! Et je m’en vais lire le reste de votre blog.
C’est très intéressant d’avoir un retour d’expérience sur ce sujet. Peut-être qu’un lien avec les différents événements et attentats de cet hiver peut être fait sur le changement de cap ?
La chine est pas la place pour rigoler surtout les territoires tibetains, c’est super serieur beaucoup de controle mais vous avez eu de la bonne chance, une grosse pour une seule fois seulement – Si on s’echappe bien, on rigole bien apres -)) bon voyage