Jonathan c’est exactement l’homme que tous les célibataires voyageurs aimeraient être : un aventurier, un vrai. Il a parcouru durant deux années les routes d’Amérique du Sud jusqu’à Las Vegas, en dormant chez l’habitant et en finançant son voyage grâce à des parties de poker bien souvent clandestines.
Nous l’avons rencontré plusieurs fois à Paris, et à chaque fois qu’on a échangé sur nos différentes expériences sur la route, on s’est rendu compte que nous avions les mêmes approches du voyage. Plus que des lieux à visiter, le plus important dans un pays ce sont les personnes à rencontrer
Un aventure humaine sur fond de sexe, de poker et de moto. Voici le récit d’un joueur itinérant.
À quel âge as-tu décidé de quitter la France et pourquoi ? Savais tu pour combien de temps tu partais ?
J’avais 25 ans. En réalité, je n’avais pas réellement envie de « quitter la France ». Je voulais juste prendre de longues vacances. J’étais architecte depuis deux ans, et quand mon boss m’a finalement proposé un CDI, tout s’est accéléré dans ma tête. J’ai repensé à mes études, à ma passion pour le voyage et le poker. J’ai réalisé qu’en fait, étant célibataire et encore en début de carrière, c’était le moment ou jamais pour partir. En acceptant ce CDI, j’accepter de renoncer à mon rêve de tour du monde. C’est pour cette raison que j’ai refusé. Je suis parti pour quelques mois, un an maximum. C’était ma limite car je savais qu’en restant plus longtemps je n’allais pas pouvoir reprendre ma vie comme avant.
Tu as décidé de financer ton voyage en jouant au poker. Déjà, pourquoi le poker, et ensuite, avais-tu tout de même de l’argent de côté quand tu es parti ?
Au début, mon projet était de faire le tour du monde avec mes économies d’architecte. Mais quand j’ai commencé à préparer mon voyage, je me suis mis à jouer sérieusement au poker et à y prendre goût. En voyant que je ne jouais pas trop mal, j’ai décidé de me lancer le pari fou de n’utiliser que le poker pour voyager.
Je suis donc arrivé à Rio avec une « bankroll » (compte en banque poker, séparé de l’argent « de la vie ») de 9000 euros. De quoi tenir quelques mois. J’avais prévu de gagner le reste sur la route. Dès le départ, j’ai adoré ce côté risqué, romantique, l’idée que rien n’était garanti, et que la durée du voyage ne dépendrait que de mes résultats. Ça a amené une intensité totalement folle au voyage, car il m’arrivait parfois de faire des sessions énormes, et de m’acheter des cadeaux (comme ma moto Parkinson, un ordinateur, des caméras) et d’autres où je perdais, et, au fond du trou, je me voyais déjà rentrer…
J’avais également l’intuition que le poker pourrait m’amener dans des endroits bizarres, totalement différents de ceux que je pouvais voir dans un voyage plus traditionnel. Et ça s’est vérifié. J’ai joué dans des arrière-salles clandestines, dans des tripots, des restaurants, des casinos, des clubs, des stations essence, des salons de la grande bourgeoisie, et rencontré tout ce qui peut s’imaginer de la société sud américaine, des puissants aux plus misérables. J’ai joué avec des patrons de mine d’or, un général nicaraguayen, un conseiller du président bolivien, mais également avec les bandits, les narcos, ou tout simplement monsieur tout le monde.
Ton voyage a connu de nombreux rebondissements. Tu as vécu des aventures complètement dingues, et parfois surréalistes (drogue, armes…). Peux tu nous raconter en détail un de ces moments clés de ton voyage ?
C’est difficile de n’en raconter qu’un !
L’un des moments qui m’a le plus marqué ça a été ma mésaventure en Bolivie, quand un homme a collé son pistolet sur ma tempe. Je logeais chez ma couchsurfeuse Thalia. Ce jour là, on décidais de faire une virée à moto loin de la ville de Santa Cruz. Nous avons roulé longtemps, la route s’est tranformée en pistre, et au bout, il y avait des dunes de sable.
Extrait du blog :
“Nous avons marché une bonne heure dans le sable, sans croiser âme qui vive, sous le soleil radieux, avec une petite brise agréable venue d’on ne sait où pour nous rafraichir… Une heure de marche, dans l’après-midi qui se terminait. Elle était tout près de moi, je sentais son bras frôler le mien, et je savais que ce n’était pas innocent.
J’adore les moments qui précèdent le premier baiser. Ces ultimes moments où montent la tension et le désir. Le stade de la séduction est terminé, on sait qu’il va se passer quelque chose incessamment et derrière la façade des mots, les visages et les corps tiennent un autre langage. Cette journée avait été magnifique, l’une des plus belles de mon voyage, et je sentais qu’elle allait se terminer en beauté.
J’étais sur un nuage. Et à cette altitude je n’ai rien vu venir.
J’ai bien vu qu’un homme s’était rapproché et que Thalia m’a lancé un regard bizarre, mais je n’y ai pas vraiment fait attention.
Jusqu’au moment où il était à côté de moi, son flingue sur ma tempe.
« Donne-moi ton argent si tu ne veux pas mourir »
Je ne voulais pas mourir. Pas après cette journée.
J’ai sorti ce que j’avais dans mes poches, 20 bolivianos (2 euros), et mon portable.
« Donne moi tout! »
Il a fouillé lui-même, fébrilement, mes poches arrières, j’ai sorti les clés de la moto, et lui ai tendu mais elles sont tombées par terre. Dans l’autre poche, la gopro ne voulait pas sortir, mon jeans trop serré. Mais le mec n’a pas fait gaffe, ou il était trop pressé. J’ai levé les yeux et vu la peur dans son regard. Il a pris l’argent et le téléphone et est parti en courant, en se retournant et en criant, le flingue pointé vers nous. Il est rentré dans les hautes herbes puis a disparu dans la forêt.
Vingt secondes tout au plus.
Et le vide.
Je suis resté sans rien dire. Etonnamment calme, ou plus précisément absent, sans aucune émotion pendant quelques minutes. Je revois Thalia, paniquée, qui tourne autour de moi, mais je ne l’entends pas parler. Je ne me souviens ni de ce qu’elle dit, ni de ce que je lui réponds.
Est-ce une protection du cerveau qui se déconnecte lors des événements traumatisants ?
Toujours est-il que je suis complètement inerte pendant quelques minutes, jusqu’au moment où, d’un coup, le cerveau se rebranche.
« Merde la moto ! »
On court la centaine de mètres qui nous séparent de Parkinson et ouf, je la vois, bien cachée derrière les herbes hautes. J’enlève l’antivol, la ramène sur le bord de la route. Nous faisons une pause, reprenons nos esprits et parlons de ce qui vient de se passer. Elle me dit qu’elle peut reconnaitre le gars. Pour ma part, je ne me rappelle que de l’arme pointée sur moi, un pistolet au canon long, fin, et argenté. Une silhouette trappue, un short et au dessus de la brume de son visage, un bob kaki. Elle me dit qu’il faut le dénoncer aux gardes. Pour ma part, je n’ai qu’une envie, c’est de rentrer chez elle.
C’est à ce moment que j’aperçois à un kilomètre une moto qui vient vers nous. En un éclair, je comprends. C’est le mec qui revient. Il s’est probablement rendu compte qu’il n’a pas tout pris, il veut récupérer la caméra, la moto, s’en prendre à Thalia… Elle suit mon regard, se retourne voit le motard. Nous échangeons un regard, et je vois qu’elle a compris elle aussi. Je n’ai rien ressenti lors de la première agression, mais cette-fois ci, sans que je l’explique, la peur est là. Puissante, incontrôlable.
Je suis mort de peur putain.
« Monte vite ! »
Nous démarrons et en un instant, je suis en cinquième. Nous sommes à quinze minutes de l’entrée du parc, il faut l’atteindre avant que ce mec nous rattrape. Rapidement, nous entrons dans la partie ensablée. Thalia aussi a peur, mais à cause de la vitesse. Elle est accrochée à moi, me dit de freiner, que ça n’en vaut pas la peine. Mais à ce moment je ne raisonne plus. Je lui dis de se retourner, elle me dit que le type se rapproche. A chaque fois un peu plus. C’est un de ces cauchemars dans lesquels on essaie de fuir mais l’on avance aussi lentement que si l’on courait sous l’eau.
Et ce qui devait arriver arrive. Je perds le contrôle, et nous tombons quasiment au même endroit qu’à l’aller. Le sable amortit la chute, nous n’avons pas mal, mais à ce moment, j’ai cette réaction incroyable : je ris. Un rire nerveux, à la fois désabusé et un peu fou.
« Au moins maintenant on va savoir » (on va savoir ? Encore aujourd’hui je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça…)
Il est trop tard pour repartir, déjà la moto est là devant nous, et s’arrête.
« Tout va bien ? »
Pas de flingue, pas de bob. Je mets bien dix secondes avant de me rendre compte que ce n’est pas le même type que tout à l’heure. Il n’a pas l’air menaçant, juste un peu inquiet pour nous. Thalia parle pour moi.
« Oui, ca va, enfin on vient de se faire agresser
– Ah bon ? Où ca ? »
Elle lui raconte l’histoire. Le mec, un habitant du coin est choqué. Il nous dit que ca n’est jamais arrivé avant, et qu’il va prévenir les gardes. Il remonte sur sa moto et part à toute allure à l’entrée du parc. Nous redressons Parkinson et repartons. Quelques minutes plus tard, deux quads qui viennent de l’entrée foncent vers nous et s’arrêtent à notre hauteur. Ce sont les gardes qui ont été prévenus. Ils nous demandent une description, Thalia s’en charge, je passe pour un con en disant que je ne me souviens de rien. D’autres arrivent. Un pick up, d’autres quads. Une dizaine de mecs, tous sur le pied de guerre, au sens littéral : la plupart ont dans les mains une fourche, une machette ou une arme à feu. L’un d’eux, s’arrête, et le conducteur me demande, malgré mes réticences de le raccompagner sur les lieux de l’agression. L’autre à l’arrière, la vingtaine ne lâche pas un mot. Il tient dans ses mains une carabine et son regard est incroyablement mauvais. On sent qu’il a des envies de sang. Je repense à notre discussion sur la justice communautaire, et d’un coup, j’ai presque envie qu’ils ne le retrouvent pas…. ”
Pour lire la suite c’est ici. J’ai de nombreuses histoires comme ça, j’ai par exemple dormi chez un Français, un mec très sympa, mais qui s’est avéré être un trafiquant de drogue international (à lire ici)
Certaines histoires sont joyeuses, belles, touchantes, émouvantes comme ma rencontre avec La Chata (la petite en péruvien) (à lire ici).
Tu as rencontré énormément de personnes au cours de ton voyage. Des familles qui t’ont accueilli spontanément chez elle, mais aussi des jeunes femmes avec qui tu as eu des aventures. N’as tu jamais eu envie de rester quelque part ? Et qu’est ce qui t’a finalement donné envie de continuer ton voyage ?
Si. Je crois que c’est quelque chose qui est arrivé à tous les voyageurs. Ce moment où une rencontre est plus forte que d’habitude, et tu te dis « et si c’était elle ? » « Et si c’était la bonne ? ».
Ca m’est arrivé assez souvent de rencontrer des filles, mais je suis vraiment tombé amoureux deux fois. Une fois en Bolivie, une fois en Colombie. Dans ces moments là, on se pose plein de questions, on pense à son futur, au voyage, on voit deux routes très claires se dessiner, et puis on fait un choix. Oui, j’ai eu envie de rester, mais oui, j’ai choisi de continuer ma route. Ce qui m’a poussé à continuer à chaque fois, c’était l’impression d’avoir un « destin » à accomplir. Quelque chose d’un peu plus grand…
Tu es maintenant de retour en France. Comment s’est passé ce retour ? Comment envisages tu l’avenir ? Et finalement, qu’est-ce que cette aventure a changé chez toi ?
Le retour a été vraiment bizarre. Ca a été un peu difficile psychologiquement, et je me suis senti assez instable, des jours complètement euphorique et d’autres plutôt déprimé.
Ca s’est stabilisé depuis quelques semaines, et il faut dire que le bouquin m’a bien aidé : il occupe tout mon emploi du temps (dédicaces, rencontres, promo etc), et me donne de nouveaux objectifs pour la suite de ma vie.
Pour ce qui est des apprentissages, je pourrais t’en parler pendant des heures. Concrètement, j’ai appris à jouer mieux au poker, conduire une moto, danser la salsa, parler espagnol et un peu portugais, faire de la méditation, aimer, comprendre, savoir ce qui me rend heureux… J’ai énormément changé. J’ai l’impression de n’avoir plus rien à voir avec le mec qui est parti voila maintenant presque 3 ans. J’étais assez timide, et je suis hyper à l’aise en société aujourd’hui, avec n’importe qui. Mon voyage m’amenait chaque semaine à être hébergé chez des gens complètement différents, j’ai l’impression d’être devenu un caméléon, de pouvoir me fondre partout. J’aime ça. Et puis, je comprends mieux les gens aussi, leurs motivations, leurs actes.
Je ne juge plus. J’essaie d’aider quand je le peux. D’essayer de pousser les gens à réaliser leurs rêves. C’est peut-être l’une des leçons les plus importantes du voyage : nous n’avons qu’une seule vie, pourquoi la consacrer à faire des choses qui nous ennuient ?
On l’a vu encore récemment, tout peut s’arrêter demain, alors dépêchons-nous de vivre, avant de mourir…
Pour ce qui est de l’avenir, aujourd’hui, c’est vrai que si l’on regarde de l’extérieur, je n’ai pas grand-chose. Je ne suis plus architecte, et même si j’ai quelques économies et un bouquin, je serais probablement bien plus riche en étant resté dans mon travail. Mais j’ai compris que la vraie richesse n’est pas à la banque, elle est en nous. Aujourd’hui, j’ai l’impression de pouvoir devenir qui je veux, si je le décide. C’est ce qu’il s’est passé pendant le voyage. Juste parce que je l’ai décrété un matin, je suis devenu joueur de poker, écrivain, voyageur, motard, vidéaste, et demain autre chose qui sait… Le voyage, on le répète souvent, mais c’est vrai, c’est une véritable école de la vie. Tu apprends sur la route tout ce que tu n’apprends jamais à l’école. Et tu apprends que ton bonheur n’est là où tu le croyais. Qu’il tient à peu de choses, à quelques personnes, et à ta capacité à te rapprocher le plus possible de tes rêves…
Voilà, on espère que cette interview de Jonathan vous a plu 🙂
Si on devait vous recommander un seul livre, ça serait sans hésiter celui-là “Le récit d’un joueur itinérant“. Le poker n’est qu’un pretexte, parce que son aventure est finalement plus profonde, et, au fur et à mesure de son histoire, c’est une véritable leçon de vie que Jonathan nous donne. Nous en avons encore des frissons ! On a hâte de lire la suite 🙂
Pour retrouver son aventure :
A bientôt pour de nouvelles aventures autour du Monde 🙂
Clo & Clem
2 commentaires
C’est, j’avoue, un moyen original de financer son voyage. Mais classe tout de même !
Merci pour cette superbe découverte, je pense que je vais dévorer son blog ! Et pourquoi pas son livre ? 🙂