Pour information : Nous avons très peu de photos pour cet article. Les seules photos présentes ont été prises en cachette avec notre Iphone. Pour visiter le Turkménistan, il faut forcément passer par une agence pour un tour guidée. Les personnes munies d’un visa de transit ne sont pas censée visiter le Turmkenistan donc ne doivent pas faire de photo. Le Turkménistan est surnommé “la Corée du Nord d’Asie centrale”.
Passer la frontière Iran-Turkménistan : le ton est donné ! Visiter le Turkménistan ne sera pas simple…
Mardi 21 janvier, 15h45 : Nous arrivons enfin au poste frontière Iran – Turkmenistan. Nous passons la frontière de justesse, juste avant la fermeture ! Quel soulagement ! Notre visa iranien expire le jour même et il nous reste tout juste assez d’argent pour payer le taxi.
Côté iranien, les gardes nous prêtent à peine attention. On nous appose les tampons de sortie et on nous indique la sortie sans même vérifier le contenu de nos sacs.
De l’autre côté de la route, c’est le Turkmenistan.
Sur la façade du poste frontière, un immense portrait du président nous accueille avec un grand sourire. Il semble nous dire : « Bienvenue dans mon merveilleux pays ! ». Mais nous ne sommes pas dupes…
Dès la porte franchie, nous avons l’impression d’avoir changé de continent. Un douanier avec une chapka sur la tête nous interpelle en russe. Il prend nos passeports et part dans une autre pièce. Au bout d’une demi-heure d’attente, une femme s’approche et nous demande de la suivre dans un petit bureau sombre. Où sommes-nous tombés ? Est-ce un interrogatoire ? On a l’impression d’être tombé dans un film d’espionnage pendant la guerre froide.
La femme s’installe à son bureau. Elle remplie quelques papiers en russe, nous demande de les signer puis nous demande 22 dollars, les taxes d’entrée… Nous récupérons nos passeports et passons nos bagages aux rayons X avant de pouvoir entrer officiellement au Turkménistan.
Alors qu’on s’apprête à récupérer nos sacs, un soldat nous arrête. Il semble avoir détecté quelque chose dans le sac de Clem.
Clem vide son sac. Rien d’intéressant. Pendant ce temps, Clo entend un soldat dire le mot “journaliste“ en russe. Livide, elle commence à s’éloigner discrètement avec notre matériel de tournage. Les journalistes n’ont pas le droit de visiter le Turkménistan sans autorisation officielle. Nous ne sommes pas journalistes mais nous avons du matériel de tournage pour faire le documentaire en Inde.
Soudain, le soldat se désintéresse complètement du sac de Clem et lui demande : “Do you have a gun ?“ (“Avez-vous une arme ?“). Surpris, Clem s’exclame “Of course no !“. L’homme rigole. Est-ce une blague ? On ne connaissait pas encore l’humour Turkmène… C’est spécial. Mais le soldat reprend alors son sérieux et demande à nouveau : “Where is your gun ?” (“Où est ton arme ?”). Clem ne sait plus quoi répondre. L’homme continue : “You have a sniper ?”. Pendant 10 minutes, le soldat interroge Clem puis Clo pour savoir si nous transportons des armes. Dans quel cauchemar sommes-nous tombés ?
Au bout d’un moment, un gradé visiblement énervé vient arrêter le petit manège du soldat. Il est 16h30. La frontière ferme. Hilare, le soldat nous fait signe de ranger nos affaires et de partir. Quel accueil ! Cela donne le ton de notre futur voyage : visiter le Turkménistan ne sera pas de tout repos !
Dehors, un minibus nous attend. Avec un grand sourire, le chauffeur nous demande 15 dollars chacun pour pouvoir sortir de la zone militaire. Un trajet équivalent ne coûtait que 2 dollars en Iran mais, comme c’est le seul moyen de quitter le poste frontière, nous n’avons pas le choix. Un beau petit racket organisé avec la complicité des gardes frontières. Le minibus nous dépose à quelques kilomètres de la capitale. Il commence à faire nuit et aucun taxi à l’horizon. Seule une Mercedes noire flambant neuve stationne sur le parking. Et nous voilà obligés de payer 10 dollars de plus pour finir la course. Dépités, nous nous effondrons à l’arrière de la voiture.
Se dire qu’on va visiter le Turkménistan pendant les 5 jours du visa de transit et changer d’avis en arrivant à Achgabat
Finis les petites routes iraniennes cabossées, nous sommes sur une magnifique autoroute éclairée par des milliers de lampadaires. Nous entrons dans la ville d’Achgabat, la capitale du Turkménistan. Tout semble complètement neuf. Les immeubles sont en marbre. Nous longeons d’immenses parcs dans lesquels se trouvent des statuts dorées du président et des écrans géants qui diffusent la télévision d’État.
Clo sort l’appareil photo mais le chauffeur lui fait signe de le ranger. Il montre à Clo des hommes qui se baladent sur le trottoir. Ce sont des policiers en civil aux aguets. Un policier tous les 20 mètres… C’est juste incroyable. D’autant plus incroyable que ce sont les seules personnes que nous croisons jusqu’à notre hôtel.
Nous sommes dans la capitale mais les rues d’Achgabat sont vides. Il n’est pourtant pas si tard et le couvre feu n’est en place qu’à partir de 23 heures…
N’ayant pas réservés d’hôtel et n’ayant pas de guide de voyage, notre chauffeur nous dépose dans le premier hôtel qu’il croise. Un hôtel 5 étoiles… On essaye de lui expliquer que nous voulons un autre hôtel mais il ne veut rien comprendre. A la réception de l’hôtel, on nous accueille avec un grand sourire. On a l’impression d’être des VIP. Nous décidons de finir cette journée complètement folle en prenant une décision tout aussi folle : on reste pour la nuit. Alors qu’on souhaite payer, la réceptionniste nous dit : “Plus tard, plus tard”. On laisse nos passeports à la réception et un groom nous amène à notre chambre.
Une fois installés, nous essayons d’aller sur internet. Ici, comme en Iran, internet est filtré. YouTube ou Facebook ne fonctionnent pas. Heureusement, il existe toujours des moyens pour contourner cette censure. En cherchant des renseignements sur le pays, nous apprenons que des micros sont installés dans les chambres d’hôtel. Il faut donc mieux éviter les termes sensibles : dictature, liberté, contestation… Notre envie de visiter le Turkménistan s’estompe peu à peu…
Nous découvrons aussi une lubie étonnante du précédent président : la propreté. Il est ainsi interdit de rentrer en ville avec une voiture sale sous peine de recevoir une amende. Le Turkmenistan étant majoritairement constitué de désert, les chauffeurs sont donc constamment obligés de sortir pour passer un coup de chiffon sur la carrosserie.
Après une petite heure, le téléphone retentit. La réceptionniste nous demande de descendre de toute urgence. Un problème ?
À peine arrivés à l’accueil, elle nous demande :
– Vous êtes de Bouygues ?
– Bouygues ?
– Vous ne travaillez pas pour Bouygues ?!
– Non non…
Son sourire s’efface et sèchement, elle nous explique : “Si vous ne travaillez pas pour Bouygues, vous devez payer maintenant !”.
En voyant nos passeports français, la réceptionniste nous avait confondus.
Après quelques recherches sur Internet, on découvre que Bouygues (l’entreprise française qui détient entre autres TF1, Bouygues Telecom et Bouygues Construction) a le monopole des constructions au Turkménistan. Le patron de Bouygues se trouve être un très bon ami du régime en place. C’est donc sans aucun souci de conscience que Bouygues se fait un fric monstre en participant à la construction d’immenses palais en marbre à la gloire du président.
(pour plus d’informations : https://www.lemonde.fr/documents-wikileaks/article/2010/12/12/wikileaks-le-paradis-turkmene-de-bouygues_1452460_1446239.html)
Nous ne sommes arrivés au Turkmenistan que depuis quelques heures et nous ressentons déjà un profond sentiment de malaise.
Le lendemain matin, nous décidons de visiter Achgabat. Le palais présidentiel avec ses grands dômes entièrement dorés est complètement éblouissant. Alors que nous nous approchons pour mieux l’observer, des gardes nous hurlent dessus. Nous avons osé poser un pied sur le trottoir du palais. Quel outrage !
Alors que nous nous éloignons, nous croisons une banque dans laquelle nous rentrons pour changer quelques dollars. Au moment de sortir, un policier nous fait de grands signes paniqués et nous crie dessus pour que nous retournions à l’intérieur de la banque.
Affolée, Clo pense qu’un tueur fou rôde à l’extérieur du bâtiment. Il n’y a plus un chat dehors. Toutes les personnes sont cloîtrées dans les immeubles. Plus aucune voiture dans les rues. Que se passe-t-il ?
Soudain, on voit passer un convoi d’une vingtaine de voitures noires toutes similaires. Un des employés de la banque nous fait comprendre que dans l’une des voitures se trouve un haut gradé qui se rend à son ministère. Une fois le convoi à bonne distance, tout le monde a enfin le droit de ressortir. C’est en voyant des centaines de personnes ressortirent au même moment des immeubles que nous prenons véritablement conscience de la folie absolue de ce régime.
Naïvement, nous pensions que ce type de dictature extrême n’existait qu’au cinéma ou en Corée du Nord. Nous n’avons plus qu’une envie : quitter le pays.
Quitter aussi vite que possible le Turkménistan avant la fin du visa de transit : Achgabat-Türkmenbaşy en train
Nous nous rendons donc à la gare pour prendre le premier train en direction de la frontière avec le Kazakhstan. Sur le chemin, nous rencontrons deux femmes âgées originaires d’Azerbaïdjan qui vont prendre le même train que nous. Elles sont tout de suite très amicales. Elles nous invitent au petit restaurant de la gare et se proposent d’aller acheter les billets de train pour nous. Nous avions lu sur internet qu’il était très compliqué pour un étranger d’acheter un billet de train et qu’il était préférable de demander de l’aide à un local. Nous acceptons donc et nous leurs confions l’argent (une dizaine d’euros). Quelques minutes plus tard, elles reviennent sans aucun billet dans les mains. Elles nous expliquent que les places seront disponibles à 16h. Leurs explications sont étranges mais nous décidons de leur faire confiance. Elles veulent nous rendre service.
Nous allons déjeuner tous les 4 au restaurant de la gare et nos deux nouvelles amies partent après nous avoir donné rendez-vous à 16h pour récupérer nos billets.
Une fois les femmes parties, une serveuse du restaurant vient nous voir et nous explique : “Ne faites pas confiance à ces deux femmes, la dernière fois elles sont venues au restaurant et elles n’ont pas payé leur addition !”.
Clem ne veut pas y croire. Les explications de la serveuse lui semblent tout aussi étranges. Si elles n’ont pas payé leur addition la dernière fois, pourquoi peuvent-elles retourner dans le restaurant sans problème ?
Nous attendons donc l’heure du rendez-vous. 16H30, toujours personne… Nous avons beau les chercher partout dans la gare, il faut se rendre à l’évidence. La serveuse avait raison.
Alors qu’on se dirige vers le guichet pour acheter nos billets, on entend une femme crier de l’autre côté du quai. Surprise ! Elles sont là avec nos billets !
Décidément, ce pays est complètement imprévisible.
Dans le train, nous réfléchissons à ce qu’il vient de se passer. La serveuse était-elle raciste envers ces femmes d’Azerbaïdjan ? Les femmes ont-elles eu des remords ? Impossible de le savoir.
Arrivés à Türkmenbaşy, la dernière ville avant la frontière du Kazakhstan, nous décidons d’aller manger un morceau avant de prendre une jeep en direction de la frontière.
Le seul restaurant en face de la gare ne paye pas de mine, mais, avec nos gros sacs sur le dos, nous n’avons pas le courage d’en chercher un autre. Nous sommes accueillis avec un grand sourire par le patron. Il est vraiment heureux de croiser des touristes avec qui il peut exercer son anglais. Vu la politique du pays, il ne doit pas rencontrer souvent des occidentaux. Il nous installe et nous propose la spécialité du coin. Au moment de régler l’addition, il refuse notre argent. Conscient qu’il s’agit d’une simple politesse, nous insistons pour payer mais impossible de le faire changer d’avis. On avait déjà croisé des restaurateurs sympas qui nous avaient offert les boissons ou les entrées, mais l’addition complète, c’est bien la première fois !
Nous quittons ce pays complètement perturbés. En moins de 5 jours, nous avons expérimenté : une des dictatures les plus répressives au monde, le soupçon, le commérage et l’extrême gentillesse.
À bientôt,
Clo & Clem
13 commentaires
Quel incroyable récit! J’avoue que je ne connaissais pas grand chose du Turkménistan, ça à l’air completement fou (et ça fait bien flipper aussi…)
Et bha di donc quel pays !!!! Ça donne pas envie là par contre :p
C’est un pays de dingue!!
Vous n’aviez pas le droit de prendre de photos?
Je croyais que vous deviez exercez un métier dans chaque pays ?
Mais il y a pire : la Corée du Nord ! On ira faire un tour pour compléter notre collection de dictatures 😉
Pour la série on doit vivre dans différents pays, nous en avons sélectionné sept : l’Inde, la Nouvelle-Zélande, le Japon, le Canada, le Brésil, le Burkina Faso et le Liban 🙂
Waouw, scotchée au récit du début à la fin. Je me serais cru dans l’épilogue d’un roman policier… Mon Dieu! J’ignorais que c’était à ce point-là!
Pour une fois, c’est un article de voyage qui ne me donne pas du tout envie de découvrir le pays.
J’avais vu un reportage sur ce pays. A l’école les enfants apprenne que le monde a été crée à la naissance du président… J’ai toujours eu un doute,mais vu ce que vous venez d’écrire, ça parait crédible… Affolant !
Rhaaa on a rencontré un voyageur qui revenait de la Corée du Nord. Apparemment, tout le monde est habillé de la même manière et il n’existe qu’une dizaine de coupes de cheveux autorisés (d’ailleurs je viens de lire un article qui disait que Kim Jong-Un imposait sa coiffure aux étudiants !). Des pays complètement fous !
votre témoignage fout la frousse ! mais vous trouvez toujours le moyen de vous en sortir en rencontrant les bonnes personnes 🙂 vous avez définitivement une bonne étoile !
😀 j’espère qu’elle continuera de briller ! Finalement on s’en sort toujours 🙂
C’est quand même incroyable. Quand on vit dans nos pays, on a pas conscience de ce qui se passe dans ces pays-là. C’est vraiment plus que déconcertant et ça ne donne pas tellement envie d’y mettre pied!
c est un magnifique voyage que vous nous faites partager !
Je suis aussi une ancienne back Packer et je me réjouis de lire tout votre voyage!
C est comme lire un bon bouquin!!!
Merciii
Salut,
Superbe récit!
Une petite question, nous attendons une réponse turkmene pour le visa de transit à tehran
Si il est accepté ce sera un visa de 5 jours, a priori donc comme vous.
Est il possible de quitter le pays avant ces 5 jours ?(la date d’entrée étant elle bloquée )
Merci
Bonjour,
Nous avons quitté le Turkmenistan avant les 5 jours donc il n’y a pas de problème 🙂
Bon séjour au Turkmenistan 😀
Claudia